mercredi 10 juillet 2019

Les amoureux et un fantôme d'été

La fin de semaine passée, je marchais en direction de mon domicile, je cheminais sur la rue lumineuse et verte d'arbres mignons et malins qui donnent juste assez d'ombre sous leur dentelle trouée; et peuplée de beaux immeubles d'appartements typiquement montréalais nobles ou d'un type discret, briquetés dans les nuances café au lait, caramel, chocolat ou chaudron, ou en grosses pierres grises, mais toujours serrés les uns contre les autres; je marchais comme ça, très joyeux sans forcément le montrer, mes lunettes d'aviateur myope sur le nez, avec Dieu sait quelle équation existentielle à résoudre dans le cortex préfrontal.

J'entendis alors discuter derrière moi. Je me doutais qu'on s'apprêtait à me dépasser. Une voix de jeune homme et une voix de jeune femme, qui m'avaient déjà dépassé à la vitesse du son à peine contrariée par un timide vent.

Il s'agissait d'un couple, qui me dépassa effectivement. Je sais pas trop quel âge. Ils avaient entre dix-huit et vingt-trois ans, peut-être. J'avais affaire à deux hippies, mot pour lequel je cherche urgemment un synonyme.

La femme était de petite taille, elle avait les cheveux foncés. Elle était ronde. Elle semblait gaie, mais cette supposition doit en rester une, car elle ne s'est pas longuement retournée. Bon, d'accord, parions qu'elle l'était! Quand elle s'est retournée, je me suis demandé si c'était pour me regarder: on aurait bien dit. Mais alors, impossible de rendre son copain jaloux. Il était beaucoup plus beau et gracieux que je ne le serais jamais si j'y aspirais.

Son copain était grand, 6 pieds 2 pouces peut-être. Il avait une longue crinière blonde frisée. Portait une chemise kind of fleurie, des sandales.

Quand j'ai observé sa taille, il m'a fait penser à Bastien. Et je me suis demandé: Bastien n'était-il pas plus grand que ça? J'avais déjà proposé qu'il l'était. C'est la faute à Herby, le jaloux, qui a emmêlé mes souvenirs: lui qui faisait presque 6 pieds, quand nous étions jeunes adultes, il avait dit: «Mais non! Il n'est pas si grand que ça! Je l'ai revu, récemment. À peine plus grand que moi!» En même temps, la taille n'est pas la même à Laval et à Montréal, pour ainsi dire. Quand tu as un gars de 6 pieds 2 dans ta gang, à Laval, il est grand! Ici, j'ai parmi mes amis et mes connaissances quelques géants dignes de la National Basketball Association.

Dans ma tête, je procédais à des altérations capillaires et vestimentaires sur l'individu, afin qu'il coïncide davantage avec Bastien. C'est amusant, je parle de ce dernier comme d'un grand ami, quand en vérité nous étions davantage liés par des connexions communes, par nos enfances, par son grand frère Yann, et le quartier; nous avions somme toute le goût d'être des jeunes hommes se marrant avec leurs semblables. Mais c'était toujours de grands et sympathiques moments avec lui, et je le respectais, et sa mort m'a marqué.

Puis c'est le couple lui-même que je me suis mis à observer, sans altérations perceptuelles. Je me suis demandé comment des êtres peuvent être si lumineux, si robustes, en apparence si prédisposés au bonheur et à une douce vie. Des personnes comme ce camarade d'autrefois: francs envers la vie, capables de composer tout doucement avec n'importe quelle situation. On pourrait par ailleurs m'accuser d'idéaliser les morts, mais l'ennui, c'est que j'idéalise aussi les vivants. Cela dit, tout le monde peut être amoureux l'été à Montréal (ne serait-ce que de la ville), tout le monde peut être gracieux quelques minutes sous le soleil... Mais dans leur nonchalance exquise, eux, c'était différent, me semblait-il.

J'aurais eu envie de leur dire qu'ils faisaient un très beau couple. Mais ils n'auraient sans doute pas compris ce raisonnement d'écrivain; et je ne sais pas si je fais mes trente-quatre ans, or ils ne m'auraient sans doute pas estimé beaucoup, beaucoup plus vieux que leurs vingt ans.

Je me suis contenté de penser que ces jeunes âmes, tout simplement, sont celles qui inspirent de ces pièces lyriques titrées de deux prénoms.

Mais à défaut d'avoir le temps ou l'ambition d'en écrire une, je me suis dit que j'écrirais un billet de blogue.

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