mardi 10 décembre 2019

Ouvrir son cœur [texte mis à jour]



Je ne peux pas, pour l'instant du moins, prétendre au statut de critique, dans la mesure où je ne parle que des livres que j'aime.

Que dire à son sujet, ce livre ? C'est beau, c'est tendre, derrière une certaine dureté qu'a la narratrice. C'est un exercice d'introspection ravissant, douloureux, un exercice salubre, qui a, sans doute vu son honnêteté, la force d'être sans longueur.

C'est le récit autobiographique, mais pour ainsi dire morcellaire, d'une personne normale. Ou pas si normale, au sens où elle est et se découvre, dès son jeune âge, introvertie, différente, rejetée, atteinte de strabisme ; et, comme elle l'apprend plus vieille, de TDAH.

C'est donc l'histoire, racontée à la première personne, d'une fille qu'on suit de l'enfance à l'âge adulte. Enfant, comme on l'apprend entre autres choses, elle habite dans une petite ville, où son père travaille à l'usine Domtar — l'emploi tant convoité du coin. Adulte, on la suit jusqu'à l'université, où ce n'est pas facile d'entrée de jeu. Tout cela pourrait sembler banal, mais c'est narré avec une calme force découlant de l'authenticité du récit de soi.

Au fil des pages, on a vraiment l'impression de la connaître, du moins d'apprendre à le faire, et de devenir son ami ; alors qu'enfant, d'ailleurs, il lui arrivait d'être écartée par sa lumineuse camarade, qui semblait avoir honte d'elle. Revanche littéraire ?

Au demeurant, au sein même du livre, l'auteure décrit son projet de la sorte :

« Dans un tel lieu de vérité, je croyais qu'il serait possible de rejoindre l'autre. Je n'étais pas assez sotte pour croire que j'inventerais ce lieu. Je voulais le représenter. J'espérais y rencontrer d'autres humains. J'espérais que ce livre, par ce chemin, me conduirait vers les autres, vers mes semblables.

Mais ce lieu n'existe pas, et je ne peux pas l'inventer. »

Au contraire, je trouve que ce volet de l'exercice, parmi d'autres, est réussi.

Je pense que ce livre a le potentiel de plaire aux introvertis, aux hypersensibles qui refoulent, à quantité de marginaux, qui s'y reconnaîtront.

Durant ma lecture, en parallèle, je ne pouvais pas m'empêcher de repenser à mes propres amitiés dans l'enfance, dans l'adolescence. J'évoquais en moi-même quantité de souvenirs.

La formule d'écriture est intéressante : il n'y a pas de chapitres, mais plutôt, des fragments (de très courts chapitres, au nombre de 255, il me semble). Cette forme sied habilement le dessein du livre, qui est de restituer des souvenirs : c'est souvent ainsi que la mémoire fonctionne, par succession de subites remémorations qui éclairent des moments de notre vie.

Mais encore ? Pour le style ? Je sortais de La bête creuse de C. Bernard, dans laquelle je m'étais replongé. C'est un livre publié par la même maison d'édition. Par contraste (évidemment), le style m'y semblait très simple. C'est en fait une belle plume, une voix littéraire maîtrisée. La petite musique de ce livre, elle n'est pas dans les mots esthétiquement parlant, elle n'est pas dans une recherche du style, c'est donc aux antipodes du livre précédemment mentionné. Mais la petite musique est là. Elle est émotionnelle. La partition sur laquelle elle est jouée, c'est la connivence qui s'est établie entre l'auteure et le lecteur, c'est l'honnêteté. La musique qui fait que notre cerveau accroche, c'est l'exercice d'introspection, douloureusement honnête. D'ailleurs, elle écrit ceci, qui résume bien : « J'essayais de créer un langage, une manière de dire et de raconter qui établissent une communication meilleure, plus juste, et moins embarrassée par le désir de se mettre en valeur, de se représenter comme quelqu'un qui n'a jamais été nu, qui n'a jamais été souillé, qui n'a jamais eu honte. Un livre qui aurait annulé la possibilité du mensonge, même du mensonge par omission. »

Et même si on ne lit pas ce livre pour son style, parfois, on se détrompe, en tombant sur de beaux passages comme celui-ci, qui font sourire : « On était tard dans l'été, l'herbe avait jauni. Une journée normale du mois d'août, très chaude, mais pas insoutenablement humide, au ciel pâli, pleine de lumière couleur paille. »

Il est question d'une haute maîtrise du français, mais pas de pirouettes stylistiques.

C'est cela qui est cela. Lecture chaudement recommandée !

Note : J'ai mis à jour cette critique, car mon premier jet n'était pas fidèle à tout ce que contient ce livre d'important, et à mes impressions.

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