dimanche 25 octobre 2020

Bobin, les artistes qui embobinent et ceux qui ont la science de la sensibilité

La citation qui suit, je l'ai trouvée chez Mylène. C'est un très bon blogue qu'elle nous peint et nous écrit, Mylène, j'espère que vous le visiterez. C'est aussi plein de superbes photographies.

La parole est à Christian Bobin:

«Je me moque de la peinture. Je me moque de la musique. Je me moque de la poésie. Je me moque de tout ce qui appartient à un genre et lentement s’étiole dans cette appartenance. Il m’aura fallu plus de soixante ans pour savoir ce que je cherchais en écrivant, en lisant, en tombant amoureux, en m’arrêtant net devant un liseron, un silex ou un soleil couchant. Je cherche le surgissement d’une présence, l’excès du réel qui ruine toutes les définitions. Bach est plus que musicien. Soulages est plus que peintre. Rimbaud n’est poète que secondairement, comme les cendres qui retombent en papillons du volcan — ses poèmes. Je reconnais dans ces insensés ce qu’apprend avec effroi le nouveau-né, chaque fois que le visage de sa mère lui réapparaît, crevant la toile de l’air comme le lion le cercle de feu: il y a une réalité infiniment plus grande que toute réalité, qui froisse et broie et enflamme toutes les apparences. Il y a une présence qui a traversé les enfers avant de nous atteindre pour nous combler en nous tuant.»

Il évoque le rêveur de Charleville. Le poète enfant, justement. Ses lettres du voyant, avec une égale beauté, en des termes plus véhéments et avec ses éclairs versicolores, véhiculent un message semblable.

Bobin. Bobin, on m'en a recommandé la lecture il y a des années. Une collègue diagnostiquée autiste (ça n'a rien à voir, c'est un trait, j'aurais pu en nommer un autre; mais j'apprécie souvent les gens atypiques; et plus franchement encore, j'aime les autistes) m'en a parlé avec amour. Elle a évoqué, chez lui, la poésie... Elle avait toute ma confiance. J'avais pris une note mentale, peut-être aussi une note réelle... Puis j'ai oublié, mais je n'ai pas vraiment oublié, car son nom m'était resté, et je savais qu'un vrai être humain, avec sa chaleur, attendait quelque part. Que je pourrais le rencontrer, un jour, si j'en avais envie.

Hier, après avoir lu quelques citations de Bobin sur l'arc volcanique, je suis allé fouiller dans le catalogue de la BANQ (mon lieu virtuel préféré, depuis que j'ai découvert les prêts numériques). Je fais défiler la liste de ses livres. Pierre, (avec la virgule), cela me semble très original. J'emprunte. Sur la première page, les mêmes mots que dans la citation au début de ce billet! Ces mots ne m'avaient pas parlé pour rien, et semblaient vouloir le faire de nouveau.

Je lis quelques pages et déjà, avec lui, je me sens bien. Cette présence, ce surgissement dont il parle? Je sens cela dans son verbe et sa personne.

Il suffit de quelques lignes pour voir, pour sentir que sa parole faite caractères est celle d'un vrai poète, en effet. Vrai poète, eurk, ouf! Hihi. Je le dis à la lumière de ce que je vais écrire et que vous ne pouvez pas encore avoir lu (mais que vous pressentez peut-être). C'est rare en tous les cas que de la prose me fasse de l'effet comme le fait un poème.

Pour reprendre la formule de Christian... Je me moque des artistes. Je me moque du milieu littéraire.

J'irai au plus simple.

Je ne crois pas aux artistes, bien souvent. J'en ai trop rencontré qui étaient faux. Souvent, c'est du mimétisme. Comme on en retrouve dans la nature (le papillon qui se fait passer pour un autre papillon; l'insecte qui se fait passer pour la feuille verte d'un arbre). Le soi-disant artiste, lui, ne fait pas ça pour faire fuir les prédateurs. C'est plutôt pour attirer. Selon moi, certains se donnent de grands airs afin de jouir d'un statut de créateur, sans l'audace d'avoir la sensibilité que ça implique. C'est en effet une stratégie économique qui doit rapporter beaucoup.

Un vrai esprit créateur se dissout dans la vie. Il n'a pas besoin de ce titre. Il rôde sans qu'on le sache. C'est un maniaque qui vous offre un bouquet de fleurs. C'est Aznavour qui arrive avec son trémolo sensible. C'est le guitariste dans la station de métro. C'est un peintre qui vous arrache une larme à l'intérieur, qui vous fait réviser les couleurs.

Mais la fausseté... Chez les gens de lettres, c'est pire. Je n'ai jamais vu autant de cœurs congelés que parmi cette engeance. Des perles d'auteurs, çà et là. Seulement ça.

J'en discutais avec quelqu'un au téléphone, hier, justement. Un réel esprit fécond a une urgence de créer. La création l'accompagne tout le temps. Par exemple, chez l'esprit littéraire qui l'est presque accidentellement, le but n'est pas de se péter les bretelles à Noël en disant: «J'ai publié un livre (un livre amphigourique et pédantesque, que personne ne va lire)».

Je vois celle ou celui qui se voue à l'expression d'un truc vraiment sensible et intime, celle ou celui qui a un cœur candide, qui n'a pas vraiment voulu être ainsi, mais l'est quand même, comme une fenêtre. À un moment donné, le soleil passe en travers, et c'est plein de chaleur, plein de lumière dans la pièce. Puis le soleil s'en va. Et le cycle se poursuit.

Chez quantité d'individus qui prétendent être des esprits inventifs, les volets sont fermés. Le soleil n'entre pas. Mais ils tentent de vous convaincre que oui.

Quand un humain a le «malheur» d'être créateur, et non artiste au sens de vilain prétentieux paré de couleurs factices, s'il présente son œuvre, il peut y avoir malentendu. Tout ce qu'il a envie d'exprimer, c'est que le soleil est passé, et qu'il voulait en aviser ses semblables. Il aimerait dire: je n'ai pas peinturé en jaune de faux rayons de soleil autour d'une fenêtre aux volets fermés.

Hier, il y avait David Saint-Jacques à la télé. Quel surprenant individu! Astronaute, ingénieur, astrophysicien et médecin. Mais surtout, homme humble. Ce n'est pas la première fois que j'écoute un scientifique et que je ressens, près du cœur, un sentiment d'harmonie, une quiétude inattendue. C'est que j'aime les gens très accomplis et tout à la fois simples. La science a probablement ses vaniteux, ses esprits flétris par le narcissisme et ses personnages insupportables, mais souvent, je distingue une forme de noblesse et d'authenticité, chez les scientifiques.

Et c'est là que me vient en tête la chanson où l'on entend, il me semble: «J'aurais voulu être un scientifique...»

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