samedi 20 novembre 2021

La terreur et le sublime



La terreur et le sublime est un livre paru en 2019. Qu'en a-t-on dit ? Le Devoir s'est fait un devoir d'en dresser un bref portrait, d'une certaine sécheresse. L'actualité y a consacré un article plus impartial, quoique sensible à la démarche idéaliste de l'auteur.

J'aimerais, à mon tour, et de façon plus informelle, écrire au sujet de ce livre et exprimer les réflexions qu'il m'inspire.

Selon moi, c'est un ouvrage porté par une agréable et chaleureuse plume, dont la quête est de peindre un monde sublime, où homme et machine, nourris l'un par l'autre, vivent en harmonie. Parfois, dans l'enchaînement de ses pages, j'avais l'impression de traverser une œuvre de science-fiction à l'issue favorable.

J'ai été surpris. Voilà un livre écrit par un professeur titulaire du département des littératures de langue française, de traduction et de création de l'université McGill. Je n'aurais pas imaginé qu'un tel individu écrirait un livre sur l'IA. Mais je ne saurais blâmer M. Dyens, je serais très mal placé pour le faire. Pour m'amuser, j'aime à dire que je suis un homme de lettres qui affectionne I et A.

Digression : Yoshua Bengio, lauréat du prix Turing, écrit des livres comme Deep Learning, et non sur les impacts de l'intelligence artificielle sur la société et la psyché humaine ! J'avais d'ailleurs trouvé le grand scientifique aux airs de sage, lors de la conférence « Entre promesses et défis, l'intelligence artificielle redessinera-t-elle notre monde ? », moins intéressé par les répercussions psychologiques et sociales de l'IA que les autres intervenants, Marc-Antoine Dilhac et Laurence Devillers. Mais cela fait un temps, et la brume du temps s'est appesantie sur mes souvenirs, sans doute. D'ailleurs, il ne faudrait pas sous-estimer la conscience de M. Bengio, l'institut qu'il a fondé, Mila, étant, comme son site web le dit, « un pôle mondial d’avancées scientifiques qui inspire l’innovation et l’essor de l’IA au bénéfice de tous. » On est toujours du côté proprement scientifique, certes ; mais quand la science s'élève à un si noble et universel niveau, on ne peut pas ne pas être conscient des impacts de notre science sur le monde. Fin d'une parenthèse autoalimentée.

Le livre dont il est question ? Il est extrêmement poétique et humain. Peut-être fallait-il l'esprit d'un homme de lettres - un esprit de finesse - pour écrire pareil livre, qui voit très large et très loin.

Intelligence artificielle ?

Son sous-titre est quelque peu trompeur : « Humaniser l'intelligence artificielle pour construire un nouveau monde »

C'est beaucoup plus qu'un livre sur l'intelligence artificielle. Il y est question du rapport entre l'homme et la technologie, de l'enchevêtrement possiblement inévitable de ceux-ci. L'auteur a une grande connaissance de l'éventail des nouvelles technologies.

Ollivier Dyens me fait penser à une espèce d'Elon Musk optimiste. Dyens nous brosse le portrait d'un futur harmonieux, mais parfois terrifiant, où l'esprit de l'être humain et des technologies ultramodernes se côtoient de très près, jusqu'à fusionner, pour ainsi dire. Nous y reviendrons.

Le monde de l'emploi

L'auteur se fait rassurant au sujet du domaine de l'emploi. Je dois admettre qu'une certaine terreur m'habitait lorsque je me mettais à réfléchir à l'intelligence artificielle, que d'aucuns déclarent capable de surpasser l'humain dans beaucoup de domaines.

Il affirme : « De nombreux métiers et de nombreuses tâches verront leur capital social et économique augmenté, dont ceux du génie, de la créativité et du design. Car si robots et intelligence artificielle opèrent avec une efficacité hors du commun, ils ne possèdent ni désir d'explorer, ni soif de perfection, ni capacité de poser des questions, ni habileté de cheminer dans l'indécis et dans l'incertain. En fait, les métiers qui incitent l'humain à être plus humain, qui amplifient ces facultés propres à notre essence deviendront de plus en plus désirables. En revanche, ceux fondés sur une mécanisation du geste et de la pensée seront rapidement délogés. »

L'école

M. Dyens est professeur à l'université. Il pourrait se contenter de prêcher pour sa paroisse en faisant l'éloge du monde académique dans sa forme actuelle. Pourtant, il n'hésite pas à scruter ses failles, ou plutôt, à considérer son immense potentiel d'amélioration sous l'influence des nouvelles technologies. C'est probablement dans ses écrits sur l'école qu'il se montre le plus visionnaire.

Citons-le : « Nous pourrions alors ancrer les étudiants à la connaissance, à la complexité et à la beauté du monde, leur offrir un Web géré, monitoré, expliqué par un assistant virtuel programmé sur la base de la sensibilité humaine, de sa soif de justice, de son besoin de beauté et des habiletés analytiques de l'intelligence artificielle. La totalité du Web serait non seulement à notre portée, comme elle l'est aujourd'hui, mais le serait au travers d'un prisme éthique, pédagogique et artistique. »

Plus loin, il écrit aussi : « L'enseignant, la professeure, le chercheur, la directrice de thèse devront continuer à exister, mais différemment. Leur tâche ne sera plus celle de la gestion de la classe, de la production d'examens, de la transmission partielle des connaissances, mais bien celle de la métacognition, de la maturation et de la transmission de la sagesse ; celle aussi de la production de mondes et d'assistants virtuels. »

L'être humain intellectuellement et émotionnellement augmenté

L'auteur suggère d'accueillir les nouvelles technologies, profondément transformatrices, à bras ouverts (malgré le lot de confusion et de difficultés que cela entraînera). Il évoque plusieurs fois le concept de centaure, cet être humain qui fusionne en quelque sorte à la machine, être dont l'intelligence et la sensibilité sont augmentées. Il s'enthousiasme par rapport à cette possibilité.

Je salue l'idée d'accepter les changements, de célébrer et d'encourager l'influence réciproque entre l'homme et la machine, mais je ne suis pas, comme l'auteur, prêt à accepter la transformation de l'homme à ce point. Certes, dans un futur plus ou moins rapproché, des êtres seront un savant mélange humain/machine. C'est inévitable ; Elon Musk y travaille même. Mais est-ce que cela sera pour tout le monde ?

Certains humains hypersensibles peuvent tout ressentir « trop » intensément : empathie, émotions, lumière, son, etc. Certains cerveaux brillants abritent des connexions tellement rapides et intenses que leurs propriétaires en deviennent submergés et fatigués. Qu'adviendrait-il si une sensibilité et une intelligence étaient multipliées par dix, par cent, par mille ? Serait-ce humainement tolérable ?

Je crois que l'être humain, malgré son imperfection et son intelligence faisant parfois pâle figure en comparaison des IA les plus sophistiquées, regorge de potentiel. Même si Lee Sedol s'est fait battre à plate couture par AlphaGo, il a été capable du « coup 78 ».

Évidemment, on ne peut pas savoir à quoi ressemblerait un être humain dont l'esprit a fusionné à l'intelligence artificielle. Dans tous les cas, Dyens nous peint ses vues optimistes sur le sujet, de la plus éloquente des manières.


Je ne suis pas du genre à décerner des étoiles quand je parle d'un livre sur mon blogue, mais celui-ci en mérite bien quatre.

★★★★

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire